Detroit - la leçon de géographie d’Eminem

     Au sein de la littérature urbaine, les études sur la ville globale sont nombreuses depuis les années 1990. Si en France cette thématique est traitée par les géographes, les études américaines sont portées par les sociologues. Ainsi, John Friedmann, Goetz Wolff et Saskia Sassen établissent des liens entre la position d’une ville sur le plan international et certaines fonctions : centres financiers, localisation des sièges des multinationales, services aux entreprises à haute valeur ajoutée (publicité, comptabilité, services juridiques, assurances, etc.). Durant la décennie 90, les chercheurs s’intéressent aux villes globales New-York, Londres et Tokyo ainsi qu’aux villes mondiales Paris, Frankfurt, Toronto…

     En parallèle, des maires, sensibles à cette littérature, instaurent des politiques afin de grappiller quelques places au classement. L’actuel maire de Berlin, Klaus Wowereit, s’inscrit dans cette tendance. Les villes de Shanghai et Toronto ont aussi profité de politiques urbaines comme le labelling, l’accueil d’événements internationaux (coupe du monde de football, jeux olympiques, exposition universelle, etc.), la promotion d’une politique culturelle importante, la construction de quartiers résidentiels de haut standing.

     Detroit, « capitale de l’automobile » était-elle une ville mondiale dans les années 1960 ? Cette ville du Michigan accueille l’industrie automobile états-unienne voire mondiale. Ici arrivent les matières premières et des produits semi-manufacturés. De là repartent les produits finis. Ford, GM et Chrysler s’implantent dans la région. Les pouvoirs locaux appuient cette économie en protégeant les travailleurs. Cette politique sociale est complétée par l’union des travailleurs, une des plus puissantes aux Etats-Unis.
     Mais dans les années 1970, une crise économique touche le secteur automobile : le marché américain est saturé, les prix de l’énergie augmentent. De plus, l’organisation du travail peut à présent bénéficier d’avantages comparatifs en délocalisant, sous-traitant certaines tâches géographiquement grâce à un coût de transport réduit. Détroit devient la ville américaine où « l’on ne veut pas aller » : c’est une ville industrielle, il fait froid, il est impossible de s’y déplacer sans voitures, c’est la capitale du meurtre, de grandes émeutes s’y produiront en 1967 et 1984.
     Aujourd'hui, Detroit représente une ville ouvrière où les habitants sont peu élégants mais efficaces (Beverly Hills Cop). Detroit symbolise aussi ces villes ignorées par les recherches urbaines concernant les villes globales. Pourtant celle-ci aurait à enseigner sur cette course à l’étiquette « ville mondiale ». Detroit résume les critiques portées à cette littérature des villes globales.

     Le clip du titre Beautiful d’Eminem rend hommage à cette ville chère au rappeur.


Bibliographie sélective :
FOREIGN POLICY, KEARNEY A. T., THE CHICAGO COUNCIL ON GLOBAL AFFAIRS, (2008), The 2008 global cities index, p 68-76, in Foreign Policy, November-December 2008
FRIEDMANN John, (1986), The World City Hypothesis, p 67-71, in The global cities reader, Routledge: London
FRIEDMANN John, WOLFF Goetz, (1982), World City Formation: An Agenda for Research and Action, p 57-66, in The global cities reader, Routledge: London
LES RENCONTRES INTERNATIONALES, (14 octobre 2009), Detroit au travers du cinema, ENS: Paris
SASSEN Saskia, (1996), Cities and Communities in the Global Economy, p 82-88, in The global cities reader, Routledge: London
SASSEN Saskia, (2002), Locating Cities on Global Circuits, p 89-95, in The global cities reader, Routledge: London

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