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Friedrich Ratzel et Rudolf Kjellén sont-ils à l’origine de la géopolitique ? Paul Claval offre une transition entre Ratzel et Haushofer toute en fluidité tandis qu’Yves Lacoste et Michel Korinman assurent une distinction formelle, une rupture entre la géographie politique et la géopolitique d’Haushofer.
Classiquement, la géographie politique se distingue de la géopolitique ; la première décrit, la seconde explique. S’il on s’en tient à cette différenciation alors pourquoi ne pas considérer les travaux de Ratzel et de Kjellén comme tenant de la géopolitique. En effet, ceux-ci ne décrivent plus simplement l’organisation du monde mais développent un système d’explications : des facteurs justifiant cet ordre mondial.
Le second argument, il me semble, ne dément pas le précédent. Ratzel et Kjellén offrent une théorie compliquée, issue des sciences naturelles. Mais elle ne propose rien aux politiques, elle n’expose pas de plan d’action. La geopolitik apparaît à la suite de la Première Guerre Mondiale dans laquelle l’Allemagne est perdante. Ainsi, c’est en opposition avec cette géographie politique trop théorique et académique qu’émerge une géopolitique plus pragmatique.
Quelques recyclages s’opèrent ! Le nom de géopolitique sera emprunté à Kjellén par Karl Hausofer, tenant de la geopolitik allemande. Les emprunts aux écrits de Kjellén semblent limités. Néanmoins, cet auteur facilite la lecture de l’œuvre de Ratzel, Politische Geographie, en proposant une vision concise de la métaphore organique.
Si la notion de Lebensraum est réemployée, c’est qu’elle est assez commode. Suite au traité de Versailles, l’espace national allemand a été amputé. Pour les milieux pangermanistes, le peuple allemand est trop à l’étroit dans son espace et ne peut se développer, s’épanouir comme il se doit. L’espace nécessaire à sa croissance n’est pas garanti. L’Etat se doit de procurer un espace suffisant au peuple allemand.
Autre emprunt au travail de Ratzel : les frontières ne sont pas fixes et elles évoluent naturellement selon les phases de la vie d’un Etat. Cette non-fixité des frontières permet de dénoncer les tracés du traité de Versailles. La géopolitique utilise des éléments de la pensée de Ratzel mais les lie à une action immédiate.
Le travail de Ratzel est très daté et très ancré au XIXe siècle. De nombreux peuples germanophones ne vivent pas au sein des frontières de l’Etat allemand. La frontière orientale reste floue. Sa géographie politique ne s’applique qu’aux Kulturvölker et explique les relations européennes du XIXe siècle.
Rudolf Kjellén s’accorde lui aussi à son temps. La Suède est un pays rural et pauvre de l’Europe, l’industrialisation commence juste alors que la population fuit vers le nouveau monde. Les libéraux au pouvoir entretiennent un appareil Etatique minimum. Ainsi, il s'oppose à une simple vision juridique de l'Etat et affirme ses constituants naturels = la géo-politique et ses constituants culturels = l'ethno-politique. Mais surtout, Kjellén est fasciné par la culture cosmopolite allemande de l’Europe centrale et c’est auprès d’académiciens allemands qu’il recevra l’attention.
Bibliographie sélective :
CLAVAL Paul, (1984), Géographie humaine et économique contemporaine, PUF : Paris
KJELLEN Rudolf, (1916), Staten som livensform, Hugo Gebers förlag : Stockholm
KORINMAN Michel, (1990), Quand l'Allemagne pensait le monde - Grandeur et décadence d'une géopolitique, Fayard : Paris
LACOSTE Yves (dir.), (1993), Dictionnaire de géopolitique, Flammarion : Paris
TUNANDER Ola, (2001), Swedish-German geopolitics for a new century Rudolf Kjellén’s ‘The State as a Living Organism’, p 451-463, in Review of International Studies n° 27
TUNANDER Ola, (2008), Geopolitics of the North: Geopolitik of the Weak – A Post-Cold War Return to Rudolf Kjellén, p 164-184, in Cooperation and Conflict: Journal of the Nordic International Studies Association Vol 43 n°2
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